Exorcisant Foucault: de l'idéalisme narratif au matérialisme sociologique
(...) Le conflit entre
la réalité et l'irréalité de la pensée qui est isolée de la pratique est une
question purement scolastique.
Karl Marx
Par: Daniel Loayza
Herrera [1]
Foucault: la
connaissance, la puissance et la biopolitique
Foucault, dans son archéologie
de la connaissance, nous a proposé une façon de voir la connaissance comme des
catégories, des idées et des concepts construits de manière arbitraire, résultat
d'un discours narratif et légitimant. Un discours qui donne un pouvoir et
devient la vérité. La vérité est une connaissance qui a été habilitée. De la
constatation de la perte de la connaissance des unités historiques, à la fois
dans le temps et dans l'espace, ainsi que l'absence de toute herméneutique
objective pose sa proposition.
Ceci est le point de
départ de la façon dont le philosophe français nous propose de voir la problématique
du savoir: comme une construction discursive qui permet le tri social par des oppositions
telles que bien / mal, beau / laid, normal / anormal, objectif / subjectif,
entre autres.
Foucault interroge le
statut de l'objectivité des sciences, démontrant que ce sont des connaissances
qui sont devenues des références de ce qui est objectif, mais que, cependant, ce
n’est pas la manifestation du pouvoir obtenu par le discours scientifique [2].
Les connaissances ont
la capacité de façonner la société et l'individu, constituant ainsi le pouvoir.
Savoir – pouvoir ce sera l'une des relations les plus importantes de Foucault
[3]. Cette relation produit la modélisation, la normalisation conduit à
discipliner l'individu, conduisant à ce qu'il a appelé la biopolitique.
La Biopolitique est un
concept qui nous invite à réfléchir à la façon particulière dont un discours –laquelle
connaissance a atteint le pouvoir mobilisateur, structurant et constituant– vit
à chaque individu, le modèle et l’organise, permettant le contrôle social.
Sur les idées de
Foucault
C’est ingénieux comment
Foucault organisait un discours, bien préparé et magistralement écrit, les
idées de Nietzsche, Freud, Lacan et les tendances historiographiques françaises
dominantes dans la revue Annales – qui remettaient en question les unités des
analyses historiques typique du marxisme. Il a écrit des études extrêmement stimulantes
qui ont permis de trouver d'autres alternatives au déterminisme économique, typique
de la version plus simplifiée du marxisme. En même temps, cela lui a permis de
régler définitivement le positivisme durkheimien en déclin progressif depuis la
guerre.
Nietzsche a développé
un raisonnement de démolition des paradigmes modernes. Il les a montrés comme
des vérités construites de manière discursive, en les montrant comme le résultat
de l'imposition d'un groupe déterminé. Il méprisait les valeurs bourgeoises,
mais aussi la bourgeoisie, qu'il identifiait comme la productrice de ces
valeurs, qu'il considérait décadent et loin de l'aristocratie, du pouvoir des
meilleurs, des hommes supérieurs....
Le psychanalyste Lacan fut
extrêmement stimulant pour Foucault. Lacan enseigna que la relation entre le
monde et l'homme est dirigée par des symboles, qui sont ceux qui permettent à
l'être humain de se construire une image de la réalité et d'organiser le monde
dans la connaissance. Son hypothèse lui permit de contourner l'idée de
Nietzsche consistant à relier les connaissances à des hommes concrets, à
reconnaître que les connaissances sont produites par quelqu'un qui vit dans des
relations concrètes.
Ainsi, tout au long de
la lecture exaltante de Foucault, nous sommes confrontés à des images
narratives qui analysent les récits, les discours, mais pas leurs acteurs ni
les relations sociales dans lesquelles ils sont engagés. Foucault nous invite à
entrer dans un monde où tout commence par des idées, des connaissances et des
discours qui dynamisent la vie sociale et l’individu. Oublier, que ces
connaissances remplissent une fonction convenablement, qui ne sont pas nées,
développent et autonomisent de nulle part, mais qu'elles sont ancrées dans des
relations sociales concrètes.
Les idées des Lumières,
par exemple, régnaient seulement parce que ce n’étaient pas des connaissances organisées,
mais parce que ces idées furent générées dans une certaine période historique:
l'affaiblissement des anciennes aristocraties et de l'Eglise comme
organisatrices de la vie sociale; mais aussi de la poussée d’une bourgeoisie
désireuse de prendre sa place, à commander le monde à sa manière, en fonction de
ses intérêts, à inaugurer de nouveaux mécanismes de contrôle.
La bourgeoisie fit les
idées de ce qu'on a appelé le discours moderne les siennes. Elle les interpréta
et les diffusa dans le cadre d'une guerre idéologique d'abord, puis sociale et
enfin politique, pour obtenir le pouvoir.
Foucault, en ignorant
les relations sociales concrètes dans lesquelles nous vivons en une société
concrète, qui donnent naissance à ces connaissances et à la manière
particulière où elles s’imposent, nous conduit à un idéalisme anthropologique
qui oublie la matérialité et la concrétisation de la vie humaine.
Il nous invite à un
exercice cognitif purement spéculatif, narratif, littéraire, cognitif, très
appréciés de ceux qui sont encouragés dans les interprétations
psychanalytiques. Ses raisonnements ont marqué le chemin de l'idéalisme
postmoderne, d'un idéalisme qui représente un revers dans la compréhension des
phénomènes sociaux, qui nous renvoie aux époques antérieurs sur les réflexions
de Guizot et d'autres intellectuels français qui ont identifié la révolution
française comme le résultat de la lutte de classe, même avant Marx lui-même
[4].
Il constitue une
«clarification» qui contraste avec l'image de l'homme en tant que sujet social
qui vit immergé dans des relations sociales concrètes. C'est une «clarification»
qui apparaît comme inédite et presque «révolutionnaire» dans notre façon de
voir la réalité, une réalité que, d’ailleurs, Foucault lui-même nie au-delà du
discours. Cela nous amène à penser à la connaissance et aux pouvoirs sans être
humain immergé dans la réalité sociale.
Peut-être devrions-nous
demander à Foucault en termes foucaultniens: son discours, quel genre de
connaissance représente-t-il? Si tout est discours, devrions-nous considérer le
sien comme un autre discours? Si la science est seulement discursive, sa
position n'est-elle qu'une interprétation littéraire de la connaissance et du
pouvoir?
Foucault oublie
commodément la dynamique des relations sociales concrètes. Il revient à la
révision des unités d'analyse faite par l’Ecole des Annales, afin de maintenir
que les unités d'analyse historique sont des interprétations arbitraires et
subjectives [5]. Il oublie que des historiens tels que Labrousse, Lefebvre,
Soboul, Vilar, Hobsbawm, Thompson, entre autres, ont fait des recherches
cohérentes tenant compte des relations sociales concrètes.
Nous devrions nous
demander s'il existe des approches alternatives à celles de Foucault, pour
comprendre la relation entre la connaissance, le pouvoir et la modélisation de
l'individu. Analyser l'impact de l'idéologie sur la société. Un contemporain de
Foucault, Pierre Bourdieu, a développé une conception de la société, de la relation
entre la matérialité et l’idéologie, entre l'être et la pensée dans le concept
dit d'habitus. Habitus sont des façons de faire, de penser et de ressentir, qui
sont structurés socialement, mais aussi structurent l'individu. Son travail sur
la distinction est un bon exemple de la façon dont la connaissance, selon le
concept de Foucault, correspond aux relations sociales concrètes de l'individu,
y compris la classe.
Ce n'est pas la
prétention du présent article de faire un exposé détaillé des propositions de
Bourdieu, mais il convient de noter que Foucault, si nous le voyons dans la
perspective de la production intellectuelle française de l'après-guerre,
représente une interprétation idéaliste de la réalité sociale. Foucault
questionne le positivisme, nie la possibilité d'atteindre la connaissance scientifique,
l'objectivité, mais non pour la surmonter; sinon pour revenir à un idéalisme
qui ne fait que chercher la destruction des sciences sociales. Sous l'argument
qu'il existe «anormal» et «marginal», il fait une critique écrasante de la
raison, qu’il identifie comme la modernité, nous invite à penser en termes littéraires
et pré-scientifiques.
Les idées de Foucault
aident à identifier qu'il existe une relation entre la connaissance et le
pouvoir, ainsi que l'impact que cela a sur l'individu; cependant, il obscurcit
la compréhension que cela se produit dans les relations sociales concrètes, qui
a des agents, qui répond aux intérêts, aux hiérarchisations qui sont enracinées
dans des relations concrètes. De cette façon, la compréhension idéaliste du
phénomène social du pouvoir, du point de vue de Foucault, empêche d’accéder à toute
la compréhension du phénomène social qu'il étudie.
Exorcisant Foucault.
Foucault a contribué,
de manière significative, à repenser le pouvoir, le contrôle social et ce qu'il
appelle la biopolitique, en commençant par les fissures du système social,
celles qui sont considérées comme «anormales», celles qui vivent en marge du
système. Mais il l'a fait sur la base d'un relativisme épistémologique qui l'a
amené à considérer toute connaissance structurée et systématique comme
auto-constituante. C'est-à-dire, il a commencé à partir du langage pour se
retrouver dans le système social. Dans sa proposition idéaliste, le langage crée
une vie sociale. Il n'a pas tenu compte du fait que cette langue correspond à
des formes concrètes d'existence, à des intérêts et agents concrets, à des
relations matérielles [6].
Sa proposition
idéaliste sur le savoir-pouvoir, ainsi posée, conduit à une critique biaisée,
de portée purement littéraire et narrative, qui ne pose aucun questionnement
sur les relations de pouvoir concrètes dans une société, ni aucune possibilité
de dépassement. L'acceptation même des idées de Foucault, entre les secteurs
sociaux et les milieux intellectuels plus conservateurs, en est une preuve
irréfutable.
De cette façon, les
idées de Foucault nous conduisent à des analyses riches et imaginatives, en
termes narratifs et littéraires, mais sans impact social qui mène à la transformation
des relations de pouvoir dominantes dans les sociétés contemporaines.
L'attachement de nombreux intellectuels aux idées de Foucault leur a permis de
se présenter comme critique, mais en même temps de maintenir leur conservatisme
social. C’est de maintenir leur statut de groupe privilégié, de soutenir une
attitude intellectuelle du discours critique, sans proposer un questionnement
sur le système dominant.
En évoquant les idées
de Foucault à partir de la matérialité de la vie humaine, il est possible de
transformer son discours en un outil efficace d'analyse de la société.
Reconnaissant, en principe, que l'être humain n'est tel que dans les conditions
concrètes dans lesquelles il doit vivre, que son langage exprime ces relations,
qui les reconstitue, mais n'a donc pas d'existence distincte, comme une sorte
de néo-platonisme déjà surmonté, il est possible d'analyser la nature
authentique du savoir-pouvoir.
Foucault exorcisé de
son idéalisme, ses idées se sont transformées en un outil d'analyse sociale qui
relie commodément la connaissance et le pouvoir aux relations concrètes dans la
société, vu de la matérialité de la vie humaine, nous pourrons mieux comprendre,
la manière dont des discours légitimes sur les relations concrètes existantes
ont été construits, la manière dont les définitions ont été adaptées aux
intérêts de la classe ou de certains groupes de pouvoir; ainsi que la manière
dont ces discours ont été répondu des dominés et des marginalisés. En somme, la
manière dont la langue des dominateurs acquiert des significations dans le
contexte social; mais aussi dans lequel la dissidence est possible.
Vu de la matérialité de
la vie humaine, de la conception matérialiste de la relation entre l'être et la
pensée, des sociétés constituées par les classes et les groupes de pouvoir,
avec des intérêts clairs et identifiables, la méthode archéologique peut
contribuer à la critique des discours historiques imposés par les secteurs
dominants. Il clarifiera comment l'aliénation fonctionne dans les sociétés et les
individus contemporains. Il permettra une appréciation intégrale de la manière
dont la domination idéologique est exercée dans les sociétés contemporaines,
mais aussi de comprendre comment cela garantit les relations dominantes de
hiérarchie et de domination matérielle.
Sources
Bourdieu, P (2002) La
distinction: critère et bases sociales du goût. Mexique: Taurus.
Engels, F (1975) Ludwig
Feuerbach et la fin de la philosophie allemande classique. Dans: Marx et
Engels. Travaux sélectionnés. Moscou: Editorial MIR.
Foucault, M (1979)
Microphysique du pouvoir. Deuxième édition. Madrid: éditions du piquet.
(2002) L'archéologie de
la connaissance. Buenos Aires: éditeurs Siglo XXI.
(2002) Surveiller et
punir: naissance de la prison. Buenos Aires: éditeurs Siglo XXI.
[1] Historien et
éducateur.
[2] Foucault a nié
l'objectivité aux sciences sociales et à la psychologie, qu'il a vu comme des
discours, des récits légitimes, d'un ordre social.
[3] Cela suppose une
puissance qui est internalisée chez les individus, qui devient biopoder.
[4] Friedrich Engels,
dans son livre "Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique
allemande", a mentionné ce qui suit: "... depuis l'établissement de
la grande industrie, c'est-à-dire au moins depuis la paix européenne de 1815,
car pour personne en Angleterre n'était un secret que la lutte politique
tournait autour des prétentions de la domination de deux sortes: l'aristocratie
débarquée (l'aristocratie débarquée) et la bourgeoisie (classe moyenne). En
France, ce même fait est apparu avec le retour des Bourbons; les historiens de
la période de restauration, de Thierry à Guizot, Mignet et Thiers, le
proclament constamment comme le fait de donner la clé pour comprendre
l'histoire de la France depuis le Moyen Âge. Et depuis 1830, dans les deux
pays, la classe ouvrière, le prolétariat, est reconnue comme le troisième
belligérant dans la lutte pour le pouvoir. Les conditions ont été simplifiées à
tel point que les yeux devaient être fermés intentionnellement afin de ne pas
voir dans la lutte de ces trois grandes classes et dans le conflit de leurs
intérêts la force motrice de l'histoire moderne, au moins dans les deux avancée
"
[5] Foucault a soutenu
que les unités de l'analyse historique sont arbitraires et subjectives, ce qui
soulève, à partir de là, l'impossibilité que les sciences sociales soient
scientifiques et objectives.
[6] Il est pertinent de
noter que même Wittgenstein, dans ses «Philosophical Investigations», a soutenu
que la langue acquiert une signification dans l'environnement social dans
lequel elle s'est développée, c'est-à-dire dans les «jeux» dans lesquels elle
acquiert son existence.
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